Le droit d'auteur à l'heure du numérique
Article de nonfiction.fr de Guillaume de Lacoste Lareymondie, paru le 23 Avril 2010
Le droit d'auteur est-il une notion périmée ?
Alors que la guerre est engagée entre Google et les éditeurs et qu’elle s’étend aux photographes, il est temps de reconsidérer à neuf la notion même de propriété intellectuelle .
Les domaines de la culture, des savoirs et de l’information
sont bouleversés. Il y a le piratage, massif dans la musique, le
cinéma, le jeu, la photographie et les journaux, embryonnaire mais
en pleine expansion dans le livre .
Il y a le développement stupéfiant du contenu généré par les
utilisateurs sur internet, avec les blogs, les wiki et les
applications dites Web 2.0. Il y a les multiples initiatives de
Google pour rendre accessibles tous les contenus de manière
structurée, dans la presse, l’édition, la musique, la vidéo, les
images… Il y a le monde du logiciel libre, dont l’ampleur et le
sérieux rivalisent avec le logiciel propriétaire.
Face au
déferlement de ce nouvel univers numérique, les représentants des
secteurs économiques concernés n’ont qu’une réponse, mais
absolue : le droit d’auteur. Depuis les discours des organisations
professionnelles et du Ministre de la culture, jusqu’aux deux lois
Hadopi qui veulent apporter une solution opératoire, tous
s’accrochent au droit d’auteur comme à un dogme .
C’est ce dogme que je veux interroger d’un point de vue
pragmatique.
Rappel sur le droit d'auteur
La propriété intellectuelle est une construction juridique
récente. Elle apparaît à la Renaissance, se répand à la fin du
XVIIIe siècle et trouve sa formalisation complète avec la
convention de Berne de 1886. Depuis cette époque, le principe est
établi, et les développements ultérieurs n’ont été que des
aménagements.
Le fond du droit d’auteur est simple : la loi
attribue à toute personne un droit de propriété incorporelle
sur les œuvres de l’esprit qu’elle crée. Ce droit porte non sur
les idées, qui restent libres, mais sur leur expression. Certes, la
distinction est toujours délicate entre une idée (un poète
provincial candide monte à Paris pour y trouver la gloire, et
devient un journaliste retors) et son expression dans une œuvre
déterminée (Les Illusions perdues), mais la jurisprudence
a su s’y retrouver, et cette règle apparemment très théorique
s’applique bien.
L’invention juridique de la propriété
intellectuelle a permis l’essor des industries culturelles à
partir de l’imprimerie, sans empêcher la libre circulation des
idées. Ainsi le droit d’auteur est-il entré dans les mœurs, en
dépit de son caractère conventionnel.
Comment le droit d’auteur fonctionne-t-il ? Il se divise
entre un droit moral et un droit patrimonial. Le droit moral tient
dans le respect de l’intégrité de l’œuvre et du nom de son
auteur. Le droit patrimonial concerne l’exploitation commerciale de
l’œuvre ; il se subdivise entre le droit de reproduction et le
droit de représentation.
Le droit de reproduction est assez
évident, puisqu’il s’agit de la copie. Il est aisé de
déterminer si une réplication est abusive, qu’il s’agisse d’un
plagiat ou d’une exploitation non autorisée de l’œuvre.
La
représentation est une notion beaucoup moins claire. Elle devait
couvrir la lecture publique et la représentation dramatique. Tant
qu’il s’agit de roman, de poésie ou de théâtre, on s’y
retrouve. Mais dès qu’on entre dans le domaine des idées, avec
les essais ou les manuels d’enseignement, ce droit pose un problème
d’usage.
Le droit de représentation à l'épreuve de
l'enseignement
Un professeur qui suit de près un ouvrage pour donner un
cours en fait une représentation. Ce n’est pas le cas lorsque
l’enseignant développe un commentaire neuf à partir d’une
œuvre, car il y a alors création au sens où l’entend la
jurisprudence, mais il suffit d’avoir été étudiant pour savoir
combien les cours originaux sont rares… De plus, lorsque le cours
est basé sur un manuel, la représentation est évidente, puisque
c’est le principe même de ce type de livre. Or cette
représentation n’est pas expressément autorisée. Au regard de la
loi, il s’agit donc chaque fois d’une infraction, aggravée par
le fait que l’enseignant en tire une rémunération.
Il existe
dans tous les systèmes juridiques des exceptions pédagogiques ,
mais elles concernent l’usage d’extraits, et non de pans entiers
de livres ; et elles doivent être compensées par une rémunération.
Cette deuxième condition n’étant jamais remplie, rien ne permet
la pratique commune de l’enseignement.
Les écoles et les
universités sont ainsi, depuis que le droit d’auteur existe, le
lieu d’un piratage massif sur lequel auteurs et éditeurs ont
toujours fermé les yeux, alors qu’ils étaient en droit de
réclamer des contreparties financières sur tous les cours calqués
sur des livres. Le photocopiage dans les établissements
d’enseignement, qui a suscité tant d’émois et qui a finalement
été régulé, n’était que le pendant visible de ce qui se passe
dans les salles de cours et les amphithéâtres. Les droits de
représentation auraient dû être traités en même temps, mais la
fraude était moins facile à établir, faute de preuves
matérielles.
Longtemps, cette inadéquation de la notion de droit
d’auteur à l’enseignement est restée inaperçue car elle
n’affectait pas les modèles économiques des éditeurs.
Aujourd’hui que de très nombreux cours sont accessibles en
télédiffusion sur internet, ce phénomène a gagné en ampleur au
point de menacer l’édition universitaire. Il ne faut pas en
accuser les technologies de l’information : la faille était
d’origine dans le droit de la propriété intellectuelle, qui est
inadapté à la transmission des savoirs.
Reformer le copyright pour
les savoirs : les licences Creative Commons
Les licences Creative Commons, qui se répandent
depuis quelques années, notamment avec le projet Wikipedia, donnent
un cadre juridique à la pratique habituelle de l’enseignement .
Le principe de ces licences est de permettre la libre diffusion d’une
œuvre, en ne régulant que le droit moral, c’est-à-dire le
respect de la personne de l’auteur et de son intention.
Par exemple, l’auteur peut
autoriser la diffusion de son œuvre à la condition de mentionner sa
paternité, de ne pas la commercialiser et de ne pas en faire des
œuvres dérivées (c’est alors une licence Attribution
Non-Commercial No Derivatives, abrégée cc by-nc-nd).
Il peut également en autoriser tous les usages librement dans la
mesure où les productions dérivées respectent les mêmes
conditions de licence (Attribution Share Alike, cc by).
Les
licences Creative Commons constituent une grammaire du droit
d’auteur, à partir de quatre catégories de base : mention de la
paternité, autorisation ou non d’en faire des œuvres dérivées,
obligation ou non de diffuser ces œuvres dérivées aux mêmes
conditions, autorisation ou non à des tiers de faire une
exploitation commerciale de l’œuvre. Ces licences partent du
principe que les œuvres de l’esprit doivent circuler librement
tant que le droit moral des auteurs est sauf, ce qui les distingue
radicalement du copyright, qui vient du présupposé
contraire, à savoir que les productions intellectuelles ont vocation
à être commercialisées.
Concrètement, le cadre juridique
élaboré par les licences Creative Commons semble plus
pertinent que le droit d’auteur comme principe général de droit
pour les savoirs. Son succès croissant en l’absence de toute
incitation tend à le prouver.
Ainsi, les licences libres, comme
le copyleft ou les licences GNU et BSD, qui sont très
utilisées dans le domaine du logiciel, peuvent s’exprimer dans les
catégories des Creative Commons. Elles sont des expressions
de cette approche.
Mais le droit d’auteur n’est pas mis à mal
uniquement avec le droit de représentation dans le domaine de
l’enseignement.
Le marché de l'occasion, lieu de non-droit d'auteur
Le dispositif de la propriété intellectuelle souffre de
plusieurs faiblesses structurelles issues de son caractère
conventionnel. Cette propriété repose sur une abstraction première,
qu’on oublie souvent mais qui est pourtant la clé de voûte du
système : le droit de propriété est attaché à l’œuvre de
l’esprit indépendamment de ses supports matériels. "La
propriété incorporelle est indépendante de la propriété de
l’objet matériel."
C’est
pour cette raison que, si on veut utiliser une photographie qui n’est
pas encore tombée dans le domaine public, il faut en demander
l’autorisation non au propriétaire du cliché ou des négatifs,
mais aux ayants-droits du photographe. Le droit incorporel n’est
pas attaché à la chose mais à l’acte créatif de l’auteur.
Le
même principe fonde le "droit de suite", qui permet au
créateur d’une œuvre d’être intéressé à la cession de
l’original, par exemple quand le propriétaire d’un tableau le
revend .
Dans
les faits, cette règle souffre une exception notable mais peu
contestée : le marché de l’occasion. S’il est permis de
revendre le papier d’un livre ou la galette d’un CD, il est
théoriquement interdit de céder en même temps l’accès à
l’œuvre ainsi contenue. Le client d’un bien culturel d’occasion
devrait payer le propriétaire du support, d’une part, mais aussi
verser un droit de suite aux ayants-droits de l’œuvre, d’autre
part. Or il n’en est rien, et tout se passe pour le marché de
l’occasion comme si le droit d’accéder à l’œuvre était
inclus dans le support matériel.
Encore une fois, cette
inadéquation du droit de la propriété intellectuelle à la réalité
des échanges n’a pas posé de problème tant que les modèles
économiques des principaux professionnels de la culture restaient
viables. Les revenus des ventes couvraient largement le préjudice
potentiel. Mais les possibilités de reproduction des œuvres ont
changé la donne et manifesté une autre limite latente du droit
d’auteur : l’objet donne non seulement l’accès à l’œuvre
mais aussi le moyen de la transmettre, et désormais à grande
échelle.
Le problème juridique du
téléchargement
Pour compléter ce tableau des insuffisances de la notion de
propriété intellectuelle, il faut encore s’arrêter sur le moyen
principal de circulation des œuvres de l’esprit aujourd’hui : le
téléchargement. Ce procédé, quoique neuf, est maintenant le plus
utilisé de tous. Or il n’entre pas dans les catégories du droit
d’auteur.
En effet, la distinction fondatrice entre reproduction
et représentation est impuissante à rendre compte du
téléchargement, qui est à la fois l’un et l’autre de manière
totalement imbriquée. Le téléchargement est une reproduction (d’un
support électronique sur un autre), mais elle passe par une
télédiffusion (un réseau), et la télédiffusion fait partie du
droit de représentation. Comment arbitrer cette réalité ? Les
autorités fiscales considèrent le téléchargement non pas comme
une reproduction (qui ouvrirait droit à la TVA à taux réduit pour
les livres) mais comme un service
; les autorités fiscales allemandes jugent le contraire…
Cette
nouveauté fait imploser les catégories juridiques qui permettaient
de réguler le droit d’auteur, et met à mal tous les contrats
existants. Les juristes s’en sortent par une inflation de
codicilles pour tenter de cerner une notion qui échappe au droit
actuel, mais la valeur juridique de ces constructions contractuelles
reste à prouver.
C’est précisément dans ce flou légal que
Google prend place avec beaucoup d’audace. Faute de réponses
juridiques claires à ces nouvelles problématiques et faute
d’alternative robuste, il est possible que ses initiatives
finissent par infléchir la conception actuelle du droit d’auteur.
Les jurisprudences le diront, sinon les usages.
L’impossibilité d'un droit national
Les plateformes de publication (telles les blogs), les sites
de partage de fichiers (MegaUpload, Hotfile et leurs concurrents) et
les sites de lecture en flux (streaming) redessinent les
usages culturels au niveau mondial. Or le droit de la propriété
intellectuelle s’appuie sur le maillage des législations
nationales, qui sont impuissantes à intervenir pour mettre un terme
à la reproduction de masse des œuvres de l’esprit qui se déroule
par delà toute frontière.
Les procès spectaculaires intentés
dans certains pays contre quelques-uns des ces sites (Google aux
États-Unis et en France, MegaUpload en Allemagne) ne concernent
qu’une portion infime des reproductions illicites à travers le
monde. Pire, ils durent beaucoup trop longtemps pour être une
réponse adéquate à un phénomène aussi rapide. Le temps de juger
ces infractions ici ou là, elles se seront répliquées ailleurs par
de nouveaux procédés, qui nécessiteront une nouvelle
jurisprudence.
Internet est trop vaste et fluide pour les
tribunaux. La réponse juridique est inadaptée à la réalité ;
leurs étendues ne sont plus commensurables. On n’arrête pas une
inondation avec des joints d’étanchéité.
La matérialité des oeuvres
permettait de tenir le droit immatériel
Après avoir passé en revue plusieurs failles dans le
dispositif du droit d’auteur tel qu’il a été conçu dans
l’esprit des Lumières, il est temps d’en venir à ce qui a
réellement changé et qui mine cette notion juridique.
Le droit
d’auteur s’appuie sur un principe clé : il s’agit d’un droit
incorporel, indépendant des supports matériels. Or il y a là un
paradoxe. C’est le fait que les œuvres soient prises dans des
objets matériels (livres, disques, tableaux…) qui permet de faire
valoir ce droit incorporel. Aujourd’hui, grâce à la numérisation,
les œuvres se libèrent des supports ; il n’est plus possible
alors de protéger le droit d’auteur.
Dit autrement, le
démembrement de la propriété d’un objet – entre sa possession
et le droit de propriété incorporelle qui y est attaché –
fonctionnait tant qu’il était purement théorique et abstrait.
Maintenant que ce démembrement peut se réaliser, la propriété
incorporelle en devient impuissante. Le droit d’auteur était une
construction intellectuelle pure, il devient une notion caduque.
La
numérisation fait apparaître la réalité du droit d’auteur.
C’était la matérialité du support qui permettait de tenir
l’œuvre et de l’affecter à un droit de propriété
incorporelle. Avec l’informatique et la possibilité de copier à
l’infini un fichier dans un temps infime, nul support n’est plus
capable de contenir la diffusion des œuvres.
Or plus un droit de
propriété concerne quelque chose de matériel (un objet, un
terrain), plus il est évident à tous et aisé à faire respecter ;
a contrario, plus la chose devient intangible (comme une
part sociale), plus il lui faut l’appui de la loi pour en maintenir
la propriété, mais il doit toujours rester des éléments physiques
pour la manifester (comme la participation à l’assemblée générale
pour les détenteurs de parts sociales). Quand ces signes tangibles
s’estompent, le droit qu’ils représentaient tend à perdre sa
réalité aussi. C’est ce qui arrive au droit d’auteur avec la
numérisation des œuvres.
Aujourd’hui, les tribunaux sont la
seule force pour faire respecter ce droit qu’aucune borne physique
ne protège plus ; mais la démultiplication mondiale des copies par
les réseaux rend impossible la traque des contrevenants. La
propriété intellectuelle semble de plus en plus un abus de droit
parce qu’elle était purement conventionnelle, que de moins en
moins de personnes en acceptent la légitimité, et qu’elle tient
désormais par la force contre les mœurs.
Au résultat, dans son
principe, le droit d’auteur tel qu’il a été défini depuis le
18e siècle est devenu inadéquat et peu opérant, en fait un concept
périmé.
La création des oeuvres de l'esprit avant l'âge
moderne
Si le droit d’auteur venait à disparaître, faut-il
craindre la fin de la création intellectuelle, comme le redoutent et
le clament les professionnels des industries de loisir ? La réponse
à cette objection se trouve sans peine, puisque le droit de la
propriété intellectuelle est récent. Il suffit de se reporter aux
époques antérieures.
Dans le domaine des idées, comment Platon,
Sénèque, Érasme, Descartes, Kant et tous les savants ont-ils
produit leurs essais ? Dans le domaine des lettres, comment Homère,
Euripide, Virgile, Chrétien de Troyes, Ronsard, Molière et tant
d’autres ont-ils écrit leurs livres ?
Pour les idées, la
plupart étaient professeurs, précepteurs ou bien encore conseillers
des grands, et tiraient leurs revenus de ces activités. Pour les
hommes de lettres, comme pour les compositeurs, leur rémunération
venait des représentations pour les dramaturges et les musiciens, ou
alors de mécènes qui accolaient leur nom aux œuvres qu’ils
parrainaient. La création en fut-elle de moindre qualité ? De toute
évidence, non.
Si on y regarde de plus près, on
remarque que les revenus des auteurs provenaient non pas de la
reproduction de leurs œuvres, mais de leur représentation auprès
d’un public. Qu’il s’agisse des leçons d’un maître, des
avis d’un conseiller, des pièces de théâtre ou des chansons d’un
poète, on rémunérait l’auteur à sa prestation, et les écrits
n’en étaient que la mémoire figée.
Les pratiques
contemporaines commencent à rejoindre ces usages antiques : les
musiciens vivent de leurs concerts et non plus de leurs disques, et
de plus en plus d’acteurs de cinéma font des apparitions dans des
publicités ou au théâtre. Une telle évolution n’est pas
anodine.
Comment rémunérer la création ?
L’argument du financement de la création, qui est tant
brandi par les défenseurs du droit d’auteur, doit être évalué à
l’aune de ce qui revient effectivement aux créateurs. Dans les
faits, 99,9 % des auteurs perçoivent des sommes dérisoires, sinon
nulles, du fait de leurs publications.
La majorité des créateurs
n’attend pas d’être payée pour écrire, composer, inventer. Ils
le font selon un mouvement intérieur et tâchent ensuite d’en
tirer le meilleur bénéfice, quand cela est possible.
Parallèlement,
l’investissement consenti par un éditeur pour la publication d’un
livre, ou par une maison de production pour un disque, est
généralement faible ; le gros des frais va à la promotion, quand
il y en a. Sauf pour les films, très rares sont les cas où la
création d’une œuvre est tributaire d’une mise de fonds
importante en amont.
D’autre part, cette mise de fonds ne
nécessite pas le régime du droit d’auteur pour rentrer dans ses
frais. Pour l’édition, le cas de la publication de textes anciens
retrouvés en apporte la preuve. Pour le cinéma, la circulation
abondante de vidéos pirates dès la sortie des films n’empêche
pas leur rentabilisation non plus.
Ce qui doit être rémunéré,
et qui peut l’être encore en dépit des reproductions de masse,
c’est de donner au public un accès adapté et vivant aux œuvres.
On retrouve ici la représentation, non plus comme un accessoire du
droit d’auteur mais comme le pivot de l’activité intellectuelle.
La raison en est simple : les pensées et les émotions se
communiquent ainsi, par la rencontre des esprits.
Quels sont alors
les modèles économiques disponibles ? Pour les savoirs, on l’a
vu, la réponse existe. La rémunération peut se faire à la
prestation : de conseil pour l’expert, d’enseignement pour le
professeur, etc.
Pour la fiction, la question est plus délicate.
La représentation in situ ne peut concerner que le théâtre. Le
seul vrai modèle économique viable est le mécénat, comme ce fut
longtemps le cas.
En réalité, le mécénat se pratique toujours,
dans les films, les chansons et les jeux vidéo, et il commence à
toucher le roman. Sa forme contemporaine est le placement de produits
: l’apparition programmée d’un produit ou d’une marque dans
une œuvre. C’est même une source importante de revenus pour
l’industrie des loisirs. .
La publicité finance déjà la radio et la télévision, et, par ces
médias, les œuvres qu’ils diffusent ; le placement de produits en
est une approche plus subtile, qui permet à l’annonce d’intégrer
l’œuvre et de circuler avec elle.
Les mécènes d’aujourd’hui ne sont plus les familles riches
mais les annonceurs et les groupes de pression. Le mécénat est
toujours le fait des puissants de l’époque ; seules les modalités
de la puissance évoluent…
Dans cette configuration, le créateur
serait rémunéré sous forme d’honoraires ou de salaire par le
producteur ou l’éditeur ; et ce dernier n’aurait plus le
monopole sur l’œuvre, mais uniquement la primeur. Une telle
organisation modifierait assez peu les pratiques qui ont cours pour
les créations ; elle supprimerait juste le monopole qui s’ensuit,
donc les rentes de situation des industries de loisir et de quelques
ayants-droits, très peu nombreux en fait. Ce faisant, elle
obligerait même à davantage de créativité de la part de ces
industries, afin de se maintenir dans la durée.
La créativité
n’est pas menacée par le recul du régime de la propriété
intellectuelle. Du droit d’auteur, seul le droit moral est vraiment
important, au titre du respect dû aux personnes. Les droits
patrimoniaux font de moins en moins sens, à mesure que la
dématérialisation progresse. Rien ne sert de s’y accrocher à
tout prix : le droit d’auteur était une invention juridique
récente, il a fait son temps, il peut passer. L’esprit demeurera
sans lui