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2 juin 2010

Bibliothèques et internet

Article de Bertrand Calenge, paru le 19 Mai 2010 sur son blog

USAGES DE L'INTERNET EN BIBLIOTHÈQUE

bibliotheque_internet

Dès qu’on parle de l’accès public à Internet dans les bibliothèques, les débats s’animent, chacun ayant ses anecdotes à rapporter, et éventuellement ses convictions – presque – arrêtées à faire valoir. A la limite, il est parfois plus facile de convenir de choix documentaires partagés que de se mettre d’accord sur la libéralité accordée aux visiteurs en termes d’usages des ordinateurs… Entre le bibliothécaire consterné par les incivilités des lecteurs s’arrachant les postes et celui partisan d’une régulation malthusienne des accès, il existe toute une gamme d’avis divers dont la caractéristique commune est d’ignorer l’activité réelle des personnes qui viennent se connecter à la bibliothèque. Non que les professionnels y soient indifférents, bien sûr, mais ils ne disposent que de bribes d’information – un écran aperçu par ci, un conflit par là, rarement une interpellation d’un visiteur -, sans pouvoir mettre un contenu sur les appétits hétéroclites des visiteurs qui se pressent devant leurs écrans. A la différence d’un livre, parfaitement connoté dans son contenu, sa forme, voire son niveau, l’écran d’ordinateur brille par sa polyvalence anonyme…

Pour en savoir plus long, j’ai confié à un élève-conservateur de l’Enssib, Hervé Renard (que je remercie vivement) une enquête sur les usagers d’Internet au sein de la bibliothèque. Plantons le décor, les sites choisis à Lyon pour cette enquête par entretiens (129  personnes interrogées longuement) disposaient tous de trois modes d’accès à la Toile – également représentés dans les entretiens – :

  • des postes en libre accès, accessibles sans formalité, pour une durée en général de 30 minutes par session de consultation (le contrôle restant humain) ;

  • un espace numérique doté de 7 à 12 postes accessibles sur rendez-vous, lieu de formation aux outils numériques et d’assistance personnalisée grâce à un animateur spécialisé ;

  • un hotspot wifi rendant Internet accessible à toute personne dotée d’un ordinateur portable, connectée par une procédure très simple d’identification par pseudo et mot de passe obtenables en ligne.

Ajoutons deux points importants : tous ces accès sont gratuits et ne requièrent aucune formalité d’inscription préalable (les postes sur rendez-vous ne nécessitant que cette prise de rendez-vous). Les résultats de l’enquête apportent leur lot de surprises intéressantes et stimulantes.

De l’importance de la “fracture numérique”

Première surprise : 67 % des personnes interrogées ne disposent pas d’une connexion haut débit à domicile, alors que ce n’est le cas que d’une très faible minorité des visiteurs de la bibliothèque dans leur ensemble, en moyenne plutôt surconsommateurs culturels comme on ne l’ignore pas. Entre réfugiés à la recherche de contacts avec leur pays d’origine, demandeurs d’emploi, travailleurs (ou retraités) pauvres, employés ne pouvant pas utiliser leur accès professionnel à d’autres fins que professionnelles, personnes ne disposant que d’une connexion bas débit autorisant tout juste la messagerie,  ou étudiants utilisant tous les accès gratuits à leur disposition (via leur université, les hotspots gratuits, les connexions sauvages : 27 % des personnes utilisant le wifi avec leur ordinateur portable ne disposent pas d’une connexion domiciliaire), c’est la majorité des utilisateurs  qui dépend fortement de l’offre de la bibliothèque pour un accès ouvert à Internet. La gratuité (et pour certains l’anonymat) est évidemment un argument fort, jugé indispensable par plus de 20 % des personnes interrogées. le cas états-uniens le démontre bien…

Un facteur puissant de fidélisation

Deuxième surprise : si à peine 40 % de l’ensemble des visiteurs de la bibliothèque déclare y venir au moins une fois par semaine, c’est le cas pour 88 % des utilisateurs des accès à Internet ! Plus du quart viennent se connecter tous les jours ou au moins un jour sur deux ! Et les séances sont longues, jonglant entre les sessions, commencées par exemple sur un poste en libre accès en l’attente du poste réservé en espace numérique, et ensuite poursuivies sur un autre poste en libre accès après le rendez-vous. Bien entendu, le wifi autorise évidemment les longs séjours pour les heureux possesseurs d’un ordinateur portable !… Bref, pour beaucoup d’internautes, la bibliothèque est un espace quasi-quotidien.

Accès différenciés

Troisième surprise : si la majorité des usagers jongle entre les modes d’accès – selon ses moyens et compétences -, un tiers n’utilise qu’un seul type d’accès. On remarque que beaucoup d’utilisateurs des postes en libre accès sont jaloux de leur anonymat et fuient toute forme d’assistance (cas notamment des réfugiés), alors que cette assistance est le ‘plus’ qu’apprécient les utilisateurs des espaces numériques (même lorsqu’ils ne sont pas débutants). Autre différence relevée : les postes en libre accès sont très largement accaparés par un public masculin, les femmes préférant largement les espaces numériques et le wifi (accès pour lequel elles sont même légèrement majoritaires).

Le “living-room de la cité” passerait-il par les accès à Internet ?

Les trois sites étudiés sont des médiathèques ou bibliothèques nouvellement conçues (inaugurées depuis moins de 4 ans), mais c’est la première enquête où se révèle de façon aussi probante le plaisir du cocconing, du confort, évoqué par certains tenants du ‘revival’ des bibliothèques. Pour citer un usager interviewé par Hervé Renard, “aller à la bibliothèque c’est « plus sympa que de rester seul chez soi devant son ordi ! »”, affirmation lancée par un auto entrepreneur en informatique, management et gestion de projet, qui dispose de tous matériels et connexions personnelles et professionnelles. 30 % des personnes interrogées posent d’ailleurs comme majeur cet argument de confort pour l’utilisation des accès de la bibliothèque. C’est très important !!  Certes, les raisons en sont variées – et c’est logique - : le domicile est propice aux distractions, ce peut être une question d’ambiance, etc. Mais la sociabilité du lieu est réellement valorisée par les opportunités d’accès à Internet.

Et pour quel service documentaire ?

Sans surprise, le quart des personnes interrogées privilégie sur Internet la communication : Facebook, messagerie,… Mais 30 % recherchent indifféremment informations pratiques, professionnelles ou d’étude, sans parler de 20 % qui se consacrent à leurs hobbies. Et, ce qui n’est pas le moins intéressant, les enquêtés ne sont pas indifférents à leur environnement documentaire : 88 % d’entre eux profitent de leur visite pour compulser voire emprunter des documents (un peu plus de la moitié des internautes interrogés emprunte un document).
Un bémol toutefois : les ressources en ligne dont l’accès est contraint aux postes de la bibliothèque ne sont connues que du quart des internautes . Cela souligne l’importance d’une information non ‘internetienne’ (signalétique, flyers, conseils,…) pour ces utilisateurs si particuliers qui, bien que naviguant comme vous et moi sur Internet, le font dans les conditions particulières que nous leur ménageons…

Oui, décidément, offrir des accès à Internet est une composante de service complexe et riche. Il ne suffit pas d’ouvrir un port sur un ordinateur public, il faut penser de multiples modalités, tant techniques ou procédurales (espaces sur rendez-vous, assistance et formation, anonymat de certains accès, …) qu’humaines et professionnelles (assistance, dépannage, conseils de navigation, …). On ne peut plus se contenter de “donner accès”, il faut imaginer des panels de services tenant autant aux compétences des publics qu’à leur désir (ou refus) d’assistance et à leurs besoins tant matériels que cognitifs ou sociaux (et aux moyens matériels disponibles !). Un vaste chantier, vraiment !

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